Photo : H.Laymore
Elle est là, devant moi, pure, parfaite. Sa peau pâle, chaude et iridescente renvoie des reflets nacrés. Je n’hésite plus à la toucher, à l’étreindre, à l’embrasser même. Il y a 7 millions de capteurs sensoriels sur ses lèvres qui détectent les miennes et sont à même d’informer exactement chacun de ses synthé-muscles pour répondre à mon baiser de la façon la plus adéquate. Les algorithmes émotionnels lui permettent de jauger la pression de son corps contre le mien afin de gérer les montées passionnelles et rendre ses attentions les plus enflammées possibles, quoi que progressives. Elle soupire, elle gémit même parfois, ses longs cheveux blancs retombent lourdement sur ses épaules. Sa peau est si douce, si naturelle au toucher. Je l’ai vêtue d’une robe longue, en lin, inspirée des robes égyptiennes de l’antiquité. C’est lorsqu’elle l’a portée la première fois que la référence m’est devenue évidente. Il y a une logique dans tout ça, une logique émotionnelle… Non, un paradoxe.
De tous les éléments qui la constituent, j’ai apporté le plus de soin à ses yeux. Ce sont ses yeux qui lui donnent vie bien plus encore que ses sourires ou ses légers hochements de tête quand elle cherche à savoir si je suis sérieux ou non. A l’instant elle les plisse d’une façon enfantine en ajoutant un léger froncement de sourcil, elle me défie, elle me provoque, elle veut jouer. Ses iris bleu électrique brillent comme le verre, je peux voir mon visage énamouré dans ses yeux. Ais-je réussi à créer la pureté, ou ais-je échoué à donner vie à autre chose qu’une compagne idéale pour moi ?
Ce qui a été incroyable quand elle s’est éveillée, c’est qu’à l’instant où elle m’a dit « bonjour », j’étais devant une inconnue, alors même que j’avais tissé de mes mains les réseaux de fibres optiques qui parcourent son corps. Je l’ai vue sans sa peau, je l’ai vue sans son âme et là… Mes mains tremblent, mon cœur s’emballe, parce que je sais qu’elle est imprévisible. Je lui ai donné les moyens d’analyser son environnement et de choisir ce qu’elle préfère, qui elle est veut fréquenter.
J’ai peur. Au fond de moi, jamais je n’aurais pensé qu’elle puisse vouloir rester ici, avec moi, qu’elle reviendrait chez moi après avoir vu le monde, qu’elle s’y sentirait bien, qu’elle voudrait m’emmener avec elle goûter la fraîcheur de la pluie, de l’océan, du désert. C’est étrange, c’est presque… irrationnel. Je ne cesse de fouiller dans sa programmation où est ce que j’ai pu échoué à la rendre libre, quel défaut l’attache à moi. Ce n’est pas logique, ce n’est pas possible, ce n’est pas rationnel.
Je prends un retard incroyable sur mes travaux. Du moins un retard sur ce que j’avais évalué, personne n’attend mon compte-rendu. Au lieu de travailler je traîne sur le canapé avec elle, à lui expliquer les complexités de l’espèce humaine, ses erreurs, ses monstruosités. Elle s’est blottie dans mes bras en regardant un documentaire sur la seconde guerre mondiale. Je crois que j’ai compris pourquoi elle reste. Tout ce que je lui apprends ne peut que la convaincre indirectement qu’il est plus sain de rester avec moi, que je suis un homme meilleur que les autres. Ce n’est pas ma programmation qui est un échec, c’est mon apprentissage qui l’asservit.
J’ai trié sur le volet cinq personnes, hommes et femmes, à la fois cultivés, intelligents, calmes, ayant des qualités humaines manifestes et ouverts d’esprit. Ils sont persuadés de servir de guide touristique pour une cousine étrangère. Son apparence ne les gêne pas, la mode des modifications corporelles est devenue tellement extravagante que par rapport à d’autres elle est très sobre. Je sais qu’au contact d’eux, elle va prendre conscience que je ne suis pas le seul être humain valable avec qui elle peut vouloir passer du temps. J’ai cessé de l’embrasser, de l’étreindre.
Elle me manque, sa présence me manque, nos conversations me manquent, le contact de sa peau me manque. Elle me manque. Je veux juste qu’elle soit là, en train de lire dans un coin de mon salon, me posant de temps à autre une question sur telle ou telle expression qu’elle ne cerne pas. Je veux… Je me déteste. Ce n’était pas le but de cette expérience, ce n’était pas ce qu’il devait en ressortir, je suis en train de détruire mon travail avec mes émotions c’est lamentable.
Rentrée hier soir, enfin… J’ai voulu lui cacher mon impatience de la retrouver, mais c’est un échec total, son empathie a encore progressée, elle m’a demandé ce qui n’allait pas, mais elle souriait, elle savait très bien pourquoi j’étais nerveux. J’ai tenté de lancer la discussion sur les humains qu’elle avait fréquentés, mais elle s’est contentée de me dire qu’elle était contente d’être rentrée chez nous.
Chez nous. J’ai rougi. Elle l’a vu, son sourire s’est agrandit. Elle a prononcé ses mots à dessein. Elle m’observe, elle me teste, elle veut obtenir des signes de moi, qu’elle provoque. Elle cherche à me séduire.
J’ai horreur de sortir dehors, elle le sait, alors elle s’ingénie à utiliser les holo-murs pour changer mon univers de vitres et de surfaces translucides en forêts, en plages, en vallées ensoleillées. Je n’arrive pas à lui en vouloir, parce que c’est beau, doux et agréable. Personne n’a jamais fait ça pour moi, personne n’a fait cet effort de chercher à me plaire à ce point, de vouloir me rendre heureux en perçant ma carapace. Je suis perdu.
Nous avons eu une discussion terrible, terrible pour elle. Je n’avais pas abordé la question de ma propre vie avec elle, mais soudainement elle a compris qu’étant humain, j’allais vieillir et mourir. Je ne l’avais jamais vue pleurer. Ses grands yeux brillants se sont embués de la solution salée qu’elle peut produire pour lubrifier ses globes oculaires et qui jusque-là n’avait pas d’autre objet. Elle a pleuré, c’est un algorithme que je n’avais pas paramétré, mais ça n’est pas impossible qu’il se soit développé seul en réponse à une surcharge émotionnelle inattendue. Je m’accroche à mes calculs, à mes formules, mais la vérité c’est que ses larmes ont achevé mes dernières résistances. Perdu dans mes pensées je n’ai pas écouté tout ce qu’elle me disait, mais elle m’a promis qu’on ne serait jamais séparés.
Il fait froid, très froid. Je me suis réveillé frigorifié, incapable de quitter mon lit, mon métabolisme est déjà ralenti. Elle est là, contre moi dans mon lit, elle me regarde, en souriant. Elle n’a jamais été plus belle, plus humaine, plus détendue, plus aimante. Elle m’aime, elle me le dit en caressant mes cheveux et ma joue. Je sais que c’est vrai. J’ai peur.
Je nrriv plus à actttttttver le jjjjournll voccccal. Trop ffffrrroid. Elllle m’aimmmme. Jjjjjjj n’ai pppllus pppppeur.