Depuis Septembre 2014 ma vie en tant qu’artiste, en tant que plasticien, a pris un réel tournant. J’investis l’essentiel de mon temps, de mes recherches et de mon énergie à construire brique après brique la plateforme sociale et informatique qui permettra de me faire connaître et d’étendre mes connaissances du monde de l’Art. Tout le monde n’a pas la chance de pouvoir consacrer autant de temps, de pouvoir travailler sans s’inquiéter de comment manger ou comment se fournir en peinture, toiles et matériaux divers. Ni mon investissement professionnel, ni ma créativité ne sont bridées par des contingences de ce type. Je dois tout cela à ma mère. A feu ma mère, qui nous a quitté mon frère et moi en Mars de cette année, nous laissant sans plus aucun de nos ancêtres, dos à l’horloge dont le tic-tac n’aura de cesse d’être plus bruyant désormais. Grâce à ce qu’elle m’a laissé, je peux tenter mon rêve et prendre du temps pour construire tout ce qu’une vie de métro-boulot-dodo empêche de faire. Lorsque l’on est un créatif dont le temps est dominé par le besoin de pratiquer un travail abrutissant et sans aucun espace pour l’inventivité, à seule fin de se nourrir, se vêtir, se loger, prendre le temps n’est qu’un vaste fantasme.
Je suis libre comme peu d’artistes ont la chance de l’être, mais avec l’obligation absolue de transcender ce gain matériel en une réussite concrète. Je ne saurais dilapider ce qui m’a été offert dans la douleur par la mort, pour dire les choses telles qu’elles le sont. Mon héritage, c’est l’Art, et il s’ouvre devant moi. Je doute que ma mère ait cautionnée le risque que je peux prendre en tentant de percer dans un milieu dans lequel je pars sans contact, sans réseau, sans sésame, sans connaissance, et je lui dois d’autant plus de réussir. Une chose est certaine. De toute ma vie, jamais je n’ai eu à ce point l’espace d’être autant « moi », sans aucune restriction.
L’imagination n’est pas une maîtresse constante, et la créativité ne se soumet pas aux horaires de bureau. J’accepte et j’apprends chaque jour à supporter d’avoir des jours sans, des jours qui paraissent alors atrocement longs et vides, et de soudain, en pleine nuit, pouvoir enchaîner les prises de notes, les croquis, les idées, de les travailler des heures, puis de trouver ça mauvais, de toute jeter, de tout recommencer, d’avoir mes œuvres sous les yeux, de vouloir les brûler pour reprendre à zéro, puis leur trouver enfin des qualités, de les confronter à d’autres artistes que je découvre chaque jour sur le web, de comprendre où je me situe, de trouver ma place, peu à peu, de reconnaître un semblable, là bas, dans la foule.
De la courte expérience que j’en ai depuis quelques années, le métier d’artiste passe beaucoup de temps à trouver une personne parlant le même langage que soi, d’avoir la même perception que soi. Pourtant tout un chacun aspire à l’originalité, à l’unicité, quitte à ne pas pouvoir être compris de tous. Une suprême récompense pour celui qui s’imagine devenir l’insondable artisan de la perplexité des étudiants futurs. C’est à ça que servent les vernissages je crois, glisser d’œuvre en œuvre pour surprendre au détour d’une remarque faite à haute voix une sensibilité semblable à la notre, un écho, un frère. Il arrive même que l’envie de lui parler ne vienne pas. Savoir qu’il existe est suffisant.
Je travaille comme je peins au final. D’un chaos bouillonnant surgissent soudain des lignes directrices que je suis de bout en bout et qui structurent mon espace, mon temps et ma pensée. Mes inspirations, mes modèles, sont tous de l’ordre de l’inconscient collectif. Ma culture de la peinture et de la sculpture est un vortex aspirant les images sans pouvoir les relier entre elles, brisant toute forme de lien logique, d’influences, d’histoire, de structure. Je me suis aperçu être influencé par Munch, Klimt, le Caravage, Gustave Moreau, Van Gogh même, alors que rien de ce que je peux faire ou produire n’a l’audace de vouloir même faire semblant de ressembler à ces génies. Mais leurs images ont pendant des années bombardées mon esprit, fait naître des réactions, des histoires, des couleurs, des ombres, des attitudes, décomposées, recomposées, disséquées.
Puisqu’il faut nommer les choses, les démarches, les constructions que l’on produit lorsque l’on se réclame plasticien ou peintre, je pourrais être un artiste lié au chaos. Le Chaos Primordial tel que le voyaient les égyptiens ou les peuples du Tigre et de l’Euphrate, ou encore cet inconnu précédant le big bang. L’urgence de créer me traverse comme une lame, avec le même mouvement, les mêmes projections, la même violence parfois. Chaque fois qu’un démon veut sortir de moi, je l’emprisonne dans une toile.